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CHOMOLANGMA

Réflexions sur le sens de la vie. Diversités culturelles et médiatiques.

Taoïsme (5).

Publié le 17 Octobre 2009 par CHOMOLANGMA


Taoïsme et Occident


Comme pour d’autres
traditions spirituelles, des conceptions rattachables au taoïsme ont pénétré la culture occidentale, en suivant le chemin de l’histoire européenne. Ces moments définissent des attitudes qui n’ont pas forcément disparu. Dans le monde francophone actuel, le taoïsme reste encore majoritairement affaire de spécialistes et de curieux.

Antiquité et Moyen Âge : les marchands
Carte du monde selon la Geographia de Ptolémée (vers 150). La Chine est sur le bord droit, à l’est du Gange, Sinae.


On trouve des traces archéologiques de contacts commerciaux entre la Chine et l’
empire romain. La route de la soie amena des chrétiens nestoriens jusqu’à Xi'an sous la dynastie Tang (635). Ils disparurent dans une réaction confucianiste dirigée contre les religions contemplatives (845). Ils ne laissèrent pas de traces dans les textes, alors que déjà Plutarque mentionne des gymnosophistes, ces sages de l’Inde qui vivaient nus (les yogis) ; Plotin prétendait avoir reçu leur enseignement. L’Indus a arrêté Alexandre le Grand, dessinant l’espace mental européen pour plusieurs siècles.

La Relation de la Chine et de l’Inde consigne vers 851 le témoignage de plusieurs voyageurs arabes qui visitèrent la Chine. Les mentions sur la religion sont tellement brèves que l’on peut les rapporter toutes. §23 « Leur religion ressemble à celle des mages » . Dans une traduction de 1948 Jean Sauvaget propose deux hypothèses : les chinois sont étranges comme des zoroastriens, ou bien, le Yin-Yang ressemble au dualisme mazdéen ; sans qu’aucun autre indice puisse assurer qu’il s’agisse du taoïsme. On lit aussi §72 « Les Chinois prétendent que ce sont les Hindous qui leur ont apporté leurs Bouddhas », §64 « ils ont des livres sacrés », peut-être les classiques confucéens. Le lecteur moderne peut reconnaître les trois enseignements ; ces marchands s’expliquent plus sur les lois, l’administration ou la beauté des corps. On notera l’étonnement de ces arabes devant les coutumes funéraires ruineuses §35, et ceci qui résume la perspective, §63 « Ni les Hindous ni les Chinois ne pratiquent la circoncision ». Ces opinions ont été reprises et compilées à de nombreuses reprises dans la littérature musulmane, mais en y ajoutant très peu d’autres informations de première main, d’où la valeur de ce témoignage. Il n’a pas fait carrière dans la scolastique médiévale européenne.

C’est pourquoi le livre des merveilles de Marco Polo (1298) parut aussi neuf, avec plus de fantastique que la Relation, mais avec aussi peu sur les croyances et conceptions. L’ignorance de la langue et les nécessités du commerce n’ont pas permis d’en apprendre plus.

Grandes découvertes : les missionnaires

Il faut attendre l’élan missionnaire et le jésuite Matteo Ricci pour que l’Occident reçoive ses premiers rudiments de sinologie. L’approche était consciemment biaisée, elle ne visait pas à la science mais à la conversion. Cependant, la méthode jésuite consistait à ne pas évangéliser par la force, mais à insinuer la foi par persuasion, en empruntant les coutumes et la langue chinoise. Ricci a établi un dictionnaire et traduit les classiques, mais il n’a pas identifié le taoïsme. En effet, il commença par se faire passer pour un bonze bouddhiste mais constata qu’il aurait plus d’effet en prenant le costume du lettré confucéen, afin de convertir la société par le haut. La position sociale des taoïstes à cette époque ne pouvait pas servir ses projets, l’Europe ignora cette inspiration encore longtemps.

Léon Wieger (1856-1933) est un autre missionnaire jésuite, bien postérieur, qui mérite aussi d’être signalé. L’agnostique Marcel Granet cite ses traductions de Lao Zi, Zhuang Zi et Lie Zi [1] mais formule des réserves sur les interprétations. Son Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine depuis l’origine jusqu’à nos jours (1922) [2], est à lire avec précaution : « le Taoïsme me paraît être, dans ses grandes lignes, une adaptation chinoise de la doctrine indienne contemporaine des Upanishad », « les idées de ces hommes, les seuls penseurs que la Chine ait produits, sont à étudier avec soin », « leur système est un panthéisme réaliste, pas idéaliste », « il ne faut pas chercher une révélation de la Trinité, dans la formule de Lao-tseu (Lao Zi), un fit deux, deux fit trois, trois fit tout ». Ses perspectives sont parfois éclairantes, mais généralement caduques.

Le Grand Ricci (2002), le plus important dictionnaire chinois vers une langue européenne, concrétise cinquante ans de labeur accompli par des jésuites et des chercheurs associés. C’est une œuvre énorme, outil incontournable d’approfondissement du taoïsme dans le caractère. « Le souhait de ceux qui auront passé plusieurs années de leur vie à élever ce monument, c’est que beaucoup y trouvent les clés qui leur serviront à ouvrir les portes [...] par lesquelles on accède à l’âme même d’un peuple et non celles qui s’ouvrent à quelque visiteur d’occasion. Il faut, pour comprendre la Chine, savoir communier en patience à l’âme secrète de ceux qui l’habitent. ». Cette citation en clôture de la préface exprime l’esprit actuel d’une approche de la langue et la culture chinoise.

Les penseurs européens des lumières utilisèrent les documents jésuites pour leurs combats, comme le Confucius de Voltaire, mais aucun ne se distingua par son érudition ou une traduction originale. Leibniz a peut-être le premier été touché par des inspirations d’un genre taoïste lorsqu’il imagina que les idéogrammes notent réellement les idées et que le Yì Jīng puisse fonder l’algèbre d’une langue parfaite. Les spéculations dans l’esprit de Jung (1875-1961) relèvent encore de cette attitude. Sur l’exotisme encore, le taoïsme reste utilisé pour justifier nouvelles médecines ou méditations. Ce n’est pas contradictoire avec l’histoire de cet enseignement, mais pas toujours éclairé aux meilleurs textes.

« le terrain que les sinologues laissent vacant, ce sont les gourous qui l’envahissent : ce que le savoir délaisse, l’imagination s’en empare [...] servant des clés à tous les mystères, se prêtant au gentil délire de l’exotisme » [35]

La lente approche positive du taoïsme par l’Occident peut être illustrée par la difficulté de traduire le Dao De Jing. En 1934, Marcel Granet disait encore « Il faut avouer que ce livre, traduit et retraduit, est proprement intraduisible » et dans la note 1023 il ajoute « Une de ces traductions, celle de Stanislas Julien, (1842) mérite d’être signalée ; parfaitement consciencieuse, elle ne trahit pas le texte, mais elle ne permet pas de le comprendre » [3].

À la même époque, Henri Maspero apporte une analyse de première main des textes. L’école française reste féconde et citée à l’étranger. Max Kaltenmark, ou Isabelle Robinet sont des références (Taoism: Growth of a Religion, Stanford University Press, 1997, (ISBN 0804728399)) ; (Geschichte des Taoismus, Diederichs, 1995, (ISBN 342401298X)).

L’audience de ces spécialistes s’élargit, plusieurs auteurs ouvrent maintenant le taoïsme dans une réflexion croisée avec la philosophie grecque (Marcel Conche, François Jullien).

À l’exception de l’Amérique du Nord, l’immigration chinoise dans le monde francophone est en cours, mais n’a pas encore l’effet d’une présence culturelle telle qu’elle se rencontre aux États-Unis. Il faut en attendre une influence du taoïsme qui ne sera plus seulement livresque, mais s’exprimant par une communauté vivante, avec la richesse de sa langue et ses pratiques.

Influences

Outre son influence majeure sur l’art de l’Extrême-Orient, le taoïsme a profondément influencé des domaines aussi variés que la médecine, la politique, la religion populaire, le bouddhisme chinois, l’art des jardins, la cuisine et la vie sexuelle (considérées souvent comme parties de la médecine), les arts martiaux, la philosophie, la littérature, etc. Aujourd’hui, après un demi-siècle de répression en Chine populaire parce que ses manifestations étaient considérées comme des superstitions féodales par les communistes, le taoïsme est à nouveau considéré comme un élément fondamental de la culture dans son pays d’origine. Par ailleurs, son influence s’étend jusqu’en Occident et nourrit les discussions sur l’esthétique, l’écologie et devient même un ferment pour de nombreuses nouvelles formes de spiritualité.

Part constitutive avec son pendant confucianiste de la culture de la civilisation vivante la plus âgée, ayant contribué à façonner un peuple qui représente aujourd’hui un bon quart de l’humanité, mais ayant aussi été réprimé par les courants de pensée qui lui disputaient l’oreille du peuple ou des princes, le taoïsme suit ses propres préceptes : fluide comme l’eau, vieux comme la mer, difficile à fixer dans des mots, impossible à enfermer dans une catégorie, particulièrement rétif à la systématisation, il imprègne et fertilise tout ce qu’il touche et réapparaît où on ne l’attendait pas.

Le taoïsme s’est enrichi en imprégnant les pensées et religions qu’il a traversées au cours des siècles, recevant et donnant beaucoup. Le bouddhisme a été transformé par le tao chinois, le Zen japonais lui en est reconnaissant. Les moines indiens ont apporté une organisation religieuse, modérant les extrémités individualistes de l’éthique antique. L’échange avec l’Occident a commencé. La Chine réinterprète son patrimoine culturel en empruntant aux méthodes de la critique, la pensée occidentale y trouve un voisin qui ne lui doit rien, pour mieux se comprendre. L’étude et la pratique du taoïsme est toujours fertile.

source wikipédia

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