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CHOMOLANGMA

Réflexions sur le sens de la vie. Diversités culturelles et médiatiques.

Jean Siméon Chardin (3).

Publié le 3 Mars 2012 par CHOMOLANGMA in ARTS Plastiques(Peinture-Scul) -Décoratifs-Interact

Portrait de Madame Chardin
1775 (pastel, 46 × 38 cm)
Musée du Louvre, Paris.

 

 

 

C'est dans ce contexte, et malgré ses ennemis, que Chardin va s'imposer auprès des amateurs par ses pastels, ultimes joyaux de son art. Aux Salons de 1771, 1773, 1775, 1777, 1779 il expose des autoportraits, des portraits de sa femme, des têtes de vieillards, des têtes d'enfants, des têtes d'expression[9], et une copie de Rembrandt.

Chardin connaît le succès avec ces dessins dans lesquels il fait preuve de bien plus de maîtrise que dans ses quelques portraits à l'huile. « C'est un genre auquel on ne l'avait point vu encore s'exercer, et que, dans ses coups d'essais, il porte au plus haut degré », écrit un critique dans l'Année littéraire, en 1771.

Déjà les connaisseurs avaient remarqué que, dans ses peintures à l'huile, l'artiste juxtaposait les pigments plutôt qu'il ne les mélangeait sur la palette.

Ainsi, l'Abbé Guillaume-Thomas-François Raynal (1713-1796, dans sa Correspondance littéraire, 1750 :

« Il place ses couleurs l'une après l'autre sans pres­que les mêler de sorte que son ouvrage ressemble un peu à la mosaïque de pièces de rapport, comme la tapisserie faite à l'aiguille qu'on appelle point carré. »

Le pastel permet à Chardin d'approfondir cette technique. Quant aux couleurs, elles s'imposent à l'artiste dans leur relation.

En effet, le problème n'est pas de savoir s'il y a du bleu ou du vert sur tel visage réel, mais s'il en faut dans le portrait. Un demi siècle avant que les théories d'Eugène Chevreul (1786-1899) n'influencent les Impressionnistes, il développe dans ses pastels l'art du mélange optique des teintes, et de la touche hachurée qui accroche la lumière. Par dessus ses bésicles, dans son Autoportrait de 1771 (musée du Louvre), le doux et malicieux regard du « Bonhomme Chardin » invite l'amateur, non pas à scruter l'âme du peintre, mais à revenir sur l'œuvre même, pour observer, étudier sans cesse les audaces picturales qui confèrent une vie fascinante à son visage.

« Des trois couleurs primitives se forment les trois binaires[10]. Si au ton binaire vous ajoutez le ton primitif qui lui est opposé, vous l'annihilez, c'est-à-dire vous en produisez la demi-teinte nécessaire. (…) De là, les ombres vertes dans le rouge. La tête des deux petits paysans. Celui qui était jaune avait des ombres violettes ; celui qui était le plus sanguin et le plus rouge, des ombres vertes. » Chardin aurait pu écrire, s'il avait été théoricien, ces notes extraites des Carnets de voyage au Maroc de Delacroix (1832)… comme il aurait pu lui aussi déclarer que « l'ennemi de toute peinture est le gris. »

— Delacroix, Journal, année 1852

Louis XV meurt en 1774, mais depuis dix ans déjà, Mme de Pompadour n'était plus à ses côtés pour orienter ses goûts. Cette même année, d'Angivillier, dont on a vu le peu d'estime qu'il avait pour Chardin, succède au frère de la favorite, protectrice des arts et des lettres. Le peintre souffre finalement assez peu de ces changements, et de toute façon, ses détracteurs ne parviennent pas à entraîner une désaffection du public cultivé.

Ainsi, au Salon du Louvre du 25 août 1779, Chardin expose ses derniers pastels. Mesdames – ainsi nommait-on les filles de Louis XV – connaissaient et appréciaient Chardin: pour leur demeure de Bellevue, il avait peint en 1761 deux dessus de portes, les Instruments de la musique guerrière, et les Instruments de la musique civile. L'une d'elle, Mme Victoire, se laisse tenter par un portrait de Jacquet (c'est-à-dire de jeune laquais):

« On a beaucoup parlé de la richesse du dernier salon. La reine[11] et toute la famille royale voulurent le voir et en marquèrent leur satisfaction. Un des morceaux qui fit le plus de plaisir à Mme Victoire, dont le suffrage éclairé fait l'ambition des meilleurs artistes, fut un petit tableau de M. Chardin représentant un petit Jacquet. Elle fut si frappée de la vérité de cette figure que dès le lendemain, cette princesse envoya au peintre, par M. le comte d'Affry, une boîte en or, comme un témoignage du cas qu'elle faisait de ses talents. »

— Nécrologue des Hommes Célèbres, 1780

Sans doute Mme Victoire a-t-elle voulu acheter le pastel ; Chardin le lui a offert, et le lendemain elle lui a fait parvenir une tabatière en or.

Lundi 6 décembre 1779, à 9 heures du matin, Jean Siméon Chardin meurt dans son appartement des galeries du Louvre.

Par l'inventaire après décès, nous savons que le ménage Chardin était à l'aise. Toutefois, Françoise Marguerite Pouget demande une part de réversion des rentes de son mari. On ne peut, cette fois, reprocher à d'Angivillier son refus :

« Mais quoiqu'il y ait eu, en effet, quelques exemples de veuves d'artistes qui ont obtenu des pensions après la mort de leurs maris, je trouve que c'étoient des ou des veuves d'artistes qui étoient morts spécialement au service du roy, ou quelques-unes qui, par la suite de la mort de leur mari, restoient dans un état de détresse telle que l'honneur des arts de l'Académie exigeoit en quelque sorte que l'on vint à leur secours. M. Chardin s'est fait une réputation méritée et dans le public et dans l'Académie, mais n'a pas eu le premier avantage, parce que la nature de son talent, quoique éminent, ne le comportoit pas. Je suis assuré que le second cas ne vous est pas applicable, et votre délicatese refuseroit sûrement un bienfait du roi à ce titre. »

— Document des Archives Nationales datant de 1779, orth. de l'époque

Madame Chardin se retire chez un membre de sa famille. Elle meurt le 15 mai 1791.

 

 

La diffusion des œuvres : gravures et poèmes

Avant le XIXe siècle et en dehors des expositions et salons qui, de toutes façons, ne duraient guère, peu de personnes pouvaient contempler des tableaux. La gravure, mode de reproduction autant que certes moyen d'expression pour de grands artistes, comme Rembrandt, fut également un mode de reproduction et diffusion d'une extrême importance depuis la fin du XIVe siècle jusqu'à l'invention de la photographie en 1839 par Daguerre.

Au XVIIIe siècle particulièrement, les collectionneurs se plaisaient à faire reproduire ainsi les œuvres de leurs « galeries ». Les tableaux de Jean-Baptiste Greuze et de Chardin (les peintures de genre) sont sans doute ceux qui, en ce siècle, ont donné lieu au plus grand nombre de gravures. Pierre-Jean Mariette en témoigne dans son Abécédario (1749) : « Les estampes qu'on a gravées d'après les tableaux de M. Chardin (…) sont devenues des estampes à la mode (…). Le gros public revoit avec plaisir des actions qui se passent journellement sous ses yeux dans son ménage. » Souvent une brève légende en vers accompagne l'image. En voici quelques exemples :

 

 


Une femme occupée à cacheter une lettre
gravure par Étienne Fessard.

 

 

 

« Hâte-toi, Frontain : vois ta jeune Maîtresse,
Sa tendre impatience éclate dans ses yeux ;
Il lui tarde déjà que l'objet de ses Vœux
Ait reçu ce Billet, gage de sa tendresse.
Ah ! Frontain, pour agir avec cette lenteur
Jamais le Dieu d'Amour n'a donc touché ton cœur. »

« Contemple bien Garçon
Ces petits globes de Savon :
Leur mouvement si variable
Et leur éclat si peu durable
Te feront dire avec raison,
Qu'en cela mainte Iris leur est assez semblable. »

 

 

Une dame qui prend du thé
gravure Pierre Filloeul.

 

 

 

  • Une dame qui prend du thé[14], gravure Pierre Filloeul :

« Que le jeune Damis seroit heureux, Climène,
Si cette bouillante liqueur,
Pouvoit échauffer votre cœur,
Et si le sucre avait la vertu souveraine
D'adoucir ce qu'en votre humeur
Cet amant trouve de rigueur. »

  • Le Château de cartes ou Le fils de M. Le Noir s'amusant à faire un château de cartes[15], gravure par Filloeul :

« Vous vous moquez à tort de cet adolescent
Et de son humble ouvrage
Prest à tomber au premier vent
Barbons dans l'âge même où l'on doit être sage
Souvent il sort de nos serveaux (sic)
De plus ridicules châteaux. »

« Aimable Enfant que le plaisir décide, Nous badinons de vos frêles travaux : Mais entre nous, quel est le plus solide De nos projets ou bien de vos châteaux. »

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