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CHOMOLANGMA

Réflexions sur le sens de la vie. Diversités culturelles et médiatiques.

Liturgie (Grèce antique).

Publié le 14 Janvier 2010 par CHOMOLANGMA in HISTOIRE-Antiquité (avant le Ve siècle)


Liturgie (Grèce antique)
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Décret honorifique du dèmed'Aixone commémorant deuxchorèges, Auteas et Philoxenides, 312-313 av. J.-C.,musée épigraphique d'Athènes.

La liturgie (du grec λειτουργία ou λῃτουργία / leitourgía, de λαός / laós, « le peuple » et de la racine ἐργο / ergo, « faire, accomplir »[1]) est, en Grèce antique, un service public mis en place par la cité et que les plus riches (citoyens oumétèques), avec plus ou moins de bonne volonté, financent et gèrent avec leur fortune personnelle. Elle trouve sa légitimité dans l'idée que « la richesse personnelle n'est possédée que par délégation de la cité[2]. » Le système liturgique remonte aux premiers temps de la démocratie athénienne, et tombe progressivement en désuétude à la fin du IVe siècle av. J.-C.[3] et à l'époque hellénistique face au développement de l'évergétisme.

Principe et typologie

La liturgie est un des modes de financement privilégié de la cité grecque, dans la mesure où elle permet de faire correspondre à chaque dépense publique une recette facilement accessible. Cette grande souplesse la rend particulièrement adaptée à l'imprévoyance budgétaire de l'époque. Ainsi s'explique le caractère répandu de son usage, y compris dans des cités non démocratiques comme Rhodes par exemple. Pour autant, aucune stricte uniformité n'est constatée dans les modalités précises de fonctionnement de ces liturgies, aussi bien dans l'espace (d'une cité à l'autre) qu'au fil du temps (selon les époques et les circonstances plus ou moins difficiles auxquelles étaient confrontées les cités grecques)[4].

L'arrhéphorie, l'une des liturgies civiles (bloc V de la frise Est duParthénon)

On peut néanmoins classer les liturgies en deux grandes catégories[5]. Les liturgies civiles ou agonistiques (liées aux concours sportifs et religieux) sont principalement la gymnasiarchie (γυμνασιαρχία), c'est-à-dire la gestion et financement du gymnase, et la chorégie (χορηγία), c'est-à-dire l'entretien des membres du chœur au théâtre pour les concours tragiques, comiques ou dithyrambiques. Il existe beaucoup d'autres liturgies mineures. L’hestiasis (ἑστίασις) consiste à financer le banquet public de la tribu à laquelle on appartient[6] ; l'archithéorie (ἀρχιθεωρία) à conduire des délégations sacrées aux quatre jeux panhelléniques[7],[8] ; l'arrhéphorie (ἀρρηφορία) à couvrir les frais des arrhéphores, jeunes filles de la haute société athénienne, au nombre de quatre, qui, aux Panathénées, apportent àAthéna son péplos, lui offrent des gâteaux et lui consacrent les robes blanches ornées d'or qu'elles portent[7], etc. La créativité est grande en matière de liturgie, « et avec l'empirisme qui caractérise leur attitude en la matière, les cités étaient capables de créer de nouvelles liturgies en fonction de leurs besoins immédiats, ou d'en supprimer le service, temporairement ou définitivement[4]. » Toutes ces liturgies s'inscrivent dans le cadre d'une fête religieuse[5] et sont récurrentes[9].

Au contraire, on ne recourt aux liturgies militaires qu'en cas de besoin. La principale est la triérarchie, c'est-à-dire l'équipement et l'entretien d'une trière et de son équipage pendant un an. Le triérarque doit en outre en assurer, sous les ordres des stratèges, le commandement, sauf s'il choisit contre rémunération de le confier à un spécialiste, auquel cas sa charge devient purement financière. La proeisphora, plus tardive, consiste à assumer pour son groupe fiscal (symmorie) la charge de l’eisphora, la contribution exceptionnelle levée auprès des riches pour suppléer aux dépenses de guerre. Il a été proposé d'ajouter à leur nombre, l’hippotrophie (ἱπποτροφία), c'est-à-dire l'entretien de chevaux de la cavalerie athénienne après les Guerres médiques, mais il n'est pas certain que cette liturgie ait effectivement existé[10].

En 355-354 av. J.-C., Démosthène estime à une soixantaine le nombre de liturgies civiles par an à Athènes[9]. Le chiffre est sérieusement sous-évalué. À elles seules, les Dionysies exigent 23 à 32 chorèges, suivant l'époque[11], auxquels il faut ajouter dix hestiatores. Les Panathénées requièrent au moins 19 liturges par an[12] contre 30 (ou 40, suivant le décompte) pour les Grandes Panathénées qui se tiennent tous les quatre ans[13] ; les Lénéennes, 5 chorèges annuels et les Thargélies, 10[14]. Des liturges sont également requis pour les autres fêtes religieuses, auxquels il faut ajouter des théores pour les Jeux Panhelléniques et l'oracle de Delphes. Un calcul prudent arrive donc à au moins 97 liturges civils par an à Athènes, et à au moins 118 les années de Grandes Panathénées[15].

Coût et fonctionnement

Devenir liturge : mode de désignation
Démosthène, liturge à plusieurs reprises et l'une des principales sources sur la liturgie,musée du Louvre

Le liturge (λειτουργός / leitourgós), c'est-à-dire la personne chargée d'une liturgie, est désigné par les magistrats. Ceux-ci commencent par demander des volontaires, puis désignent ceux qui leur paraissent les plus à même d'assumer la charge[16]. À Athènes, à l'époque d'Aristote, il revient à l'archonte éponyme de désigner les chorèges pour toutes les fêtes religieuses[17], à l'exception du concours de comédie des Lénéennes, pour lesquelles l'archonte-roi est compétent[18]. Les triérarques sont choisis par le stratège chargé des symmories. Les hestiatores, chargés d'organiser le repas commun de leur tribu, sont nommés par celle-ci[19]. À l'exception de la triérarchie, les métèquessont autant mis à contribution que les citoyens, même s'il semble que leur participation est relativement marginale[20].

Le choix des liturges se fonde sur l'estimation de la fortune de chacun, conjointement mais non formellement par la cité et les liturges. Il ne semble pas qu'il y ait de « cens liturgique », de seuil précisément fixé correspondant à une fortune déclarée officiellement par le liturge au-delà duquel tout individu serait contraint d'assumer une liturgie. Inversement, des citoyens de fortune relativement modeste peuvent prendre en charge certaines liturgies peu coûteuses. De fait, l'établissement d'un seuil aurait transformé en obligation une dépense que le liturge devait plutôt prendre en charge de sa propre initiative, sans même évoquer, au niveau pratique, les difficultés qu'un tel seuil en valeur absolue aurait entraînées pour la cité en cas d'appauvrissement généralisé de ses membres individuels[21].

Néanmoins, des seuils informels de fortune au-delà desquels un individu ne peut se dérober à son devoir sont régulièrement évoqués dans les plaidoyers : s'il est évident qu'à Athènes au IVe siècle av. J.-C. un patrimoine de 10talents[22] fait nécessairement de son titulaire un membre de la « classe liturgique », il semble qu'un citoyen disposant d'une fortune de trois talents soit également amené un jour ou l'autre à en faire partie[23]. Il arrive même que des liturgies peu coûteuses soient prises en charge par des individus moins riches encore, en vue de bénéficier du prestige qu'une telle fonction leur assure : « l'idéologie de la dépense (megaloprepeia) et de l'ambition (philotimia) qui anime l'idéal liturgique trouve à s'investir dans des stratégies individuelles qui permettent à chacun, en fonction de ses disponibilités financières et de ses priorités sociales de prendre en charge, de façon plus ou moins éclatante, des liturgies elles-mêmes plus ou moins lourdes »[24].

De fait, le niveau de fortune et la part ponctionnée dans le capital de chacun est fort variable[25], tout comme les effectifs de cette « classe liturgique » socialement peu homogène. Ces derniers peuvent être estimés, pour l'Athènes classique, à un chiffre situé entre 300[26] et 1 200 individus[27], voire 1 500 ou même 2 000 si l'on prend en compte la nécessité de ne pas confondre le nombre de personnes nécessaires au fonctionnement du système et le contingent de ceux qui assument effectivement les liturgies : le nombre d'individus concernés au cours de leur vie est nécessairement supérieur au nombre total de liturgies du fait des exemptions provisoires possibles et de la dimension agonistique du système liturgique[28]. Pour ces raisons d'une part, du fait des variations de fortune (qu'elles soient liées à la vie économique ou à la division héréditaire des patrimoines) des individus d'autre part, cette « classe liturgique » ne peut être considérée comme un groupe clos[28] : elle se renouvelle en permanence, bien que marginalement, par l'adjonction de « nouveaux riches » et la descension sociale de certaines des familles qui la composent.

Le caractère très empirique du mode de désignation des liturges, fondé sur un certain consensus social intégré par les riches eux-mêmes, s'appuie sur « une idéologie agonistique et somptuaire d'origine “aristocratique”, développée à l'époque archaïque, et entretenue à son profit par la cité démocratique : [...] les liturges, loin d'être les rouages passifs d'une structure “administrative” qui les contraindrait à payer, sont les acteurs d'un système qu'ils font fonctionner à leur profit »[29]. Concrètement, le système repose donc essentiellement sur le volontariat et la reproduction sociale : la plupart de ceux des Athéniens à être inscrits sur la liste des triérarques[30] l'ont déjà été auparavant, ou sont les descendants d'anciens triérarques[31], ce qui implique une relative stabilité du groupe des triérarques[32]. Pour les liturgies civiles, notamment la chorégie, il ne semble pas qu'il y ait l'équivalent de cette liste : les plus riches les prennent en charge volontairement[33], sous la pression du regard des autres citoyens et conformément à des stratégies individuelles visant à acquérir la reconnaissance sociale correspondant à leur fortune. Au demeurant, leur liberté était souvent réduite : à ceux des citoyens ou des riches métèques qui seraient tentés de dissimuler leurs biens pour échapper à leur charge, la menace d'un procès en échange de fortune (antidosis) les en dissuade, tout comme, plus fondamentalement, la forte pression sociale et l'image détestable qu'une telle réticence à contribuer au bien public leur assurerait au sein de leur cité.

Assumer une liturgie : poids financier
L'armement d'une trière, la plus coûteuse des triérarchies (relief Lenormant, vers 410-400 av. J.-C., musée de l'Acropole d'Athènes)

Si la prise en charge des liturgies est réservée aux plus riches, le coût de chacune varie fortement en fonction à la fois de leur contenu et de l'éclat que le liturge veut donner à sa fonction[34]. La moins coûteuse est l’eutaxia (εὐταξία), connue par une seule mention[35], qui ne représente que 50 drachmes ; sa nature n'est pas connue — elle concernait peut-être les Amphiareia d'Oropos[36] et n'a probablement pas duré longtemps[37]. Un chœur dithyrambique aux Panathénées ne coûte que 300 drachmes[38]. En revanche, l'investissement d'un chorège aux Dionysies peut représenter jusqu'à 3 000 drachmes[3], voire, « en comptant la consécration du trépied, 5 000 drachmes[38] ».

La dépense est encore plus importante pour la triérarchie, même si elle peut varier en fonction de la générosité du triérarque d'une part, de la durée de la campagne militaire et de l'état initial du navire qui lui est confié d'autre part[39]. La somme investie, de l'ordre au minimum de 2 000 à 3 000 drachmes, s'établit le plus souvent aux alentours de 4 000 à 6 000 drachmes[3] : un plaideur défendu par Lysias déclare avoir, en sept ans de triérarchie, déboursé six talents[38], et Démosthène dit qu'« avec un talent, les triérarques font les frais de la triérarchie »[40]. Le poids de ces liturgies explique l'apparition de la syntriérarchie, qui permet de répartir la charge financière sur deux personnes[41] et, en 357, la mise en place à Athènes, par Périandre, de 20 symmories de 60 contribuables : en élargissant les assujettis à la triérarchie de 300 à 1 200 individus, on cherche alors à diminuer leur poids pour les triérarques[42]. Un tel élargissement, cependant relatif (cela représente seulement 2,5 % de l'ensemble de la population mâle libre athénienne), est d'autant plus nécessaire qu'avec la réforme de l'eisphora en 378-377, une nouvelle liturgie, la proeisphora s'impose aux plus riches des Athéniens, chargés d'avancer la somme affectée au groupe de citoyens (symmorie) auquel ils sont rattachés, à charge pour eux de se faire rembourser la part due par les autres membres de la symmorie[43], ce qui n'est d'ailleurs pas toujours possible[44].

De telles sommes, même pour les plus riches, sont importantes[45] : en s'appuyant sur un taux de rendement de la terre de 8 %, les plus pauvres des liturges, ceux qui disposent d'un patrimoine de dix talents comme Démosthène en 360/59 par exemple, voient l'intégralité de leurs revenus de l'année absorbés par une triérarchie[34] — d'où le recours régulier à l'emprunt pour payer les liturgies dont on est redevable[46]. Dans un discours de Lysias, un plaideur déclare : « mon père, dans tout le cours de sa vie, a plus dépensé pour la cité que pour lui-même et pour sa famille — le double de ce que nous avons maintenant, comme il l'a souvent calculé devant moi[47]. » À titre de comparaison, la liturgie la moins coûteuse, une chorégie aux Panathénées, représente presque un an de salaire d'un ouvrier qualifié au Ve siècle av. J.-C. et les plus coûteuses plus du triple du cens hoplitique, c'est-à-dire du seuil à partir duquel un Athénien doit servir comme fantassin lourd[37].

Échapper à une liturgie
Exemptions
Le service dans la cavalerie, peut-être un motif d'exemption (coupe d'Euphronios, Staatliche Antikensammlungen de Munich)

Des exemptions (σκήψεις / skếpseis) sont possibles. Elles bénéficient aux orphelins[48], aux épiclères, aux mineurs[49] et plus généralement à ceux qui n'atteignent pas l'âge requis — 40 ans accomplis pour un choreute, par exemple[17] —, aux archontes en exercice (au moins pour la triérarchie)[50], aux clérouques[51] ou encore aux invalides[3]. En outre, des citoyens ou des métèques peuvent se voir accorder, pour services rendus à la cité, une exemption honorifique des impôts et charges (ἀτέλεια / atéleia)[50], mais celle-ci ne s'applique « ni pour les triérarchies, ni pour les contributions en vue de la guerre »[52] (proeisphora).

Ceux qui sont ou ont été liturges jouissent également d'exemptions temporaires. Ainsi, on ne peut pas être contraint à deux liturgies en même temps[53] ; on ne peut pas être obligé d'assurer deux fois de suite la même liturgie civile[17]. Le liturge d'une fête religieuse ne peut se voir imposer une liturgie l'année suivante[54] ; un triérarque a droit à un répit de deux ans[55]. Il est possible que les citoyens servant dans la cavalerie athénienne soient exemptés de la triérarchie[56].

Ces exemptions légales permettent à un riche Athénien d'échapper à une liturgie, mais elles ne l'y contraignent pas : un volontaire peut cumuler toutes celles qu'il souhaite. Ainsi, un plaideur anonyme défendu par Lysias dit avoir été chorège trois années de suite et triérarque pendant sept ans. Il énumère plusieurs autres liturgies assumées pendant cette période, indiquant ainsi qu'il assumait parallèlement plusieurs liturgies, ce qui l'amène sur une période de huit années à dépenser douze talents, soit plus d'un talent par an[57]. Cependant, il est rare que les citoyens renoncent à une exemption, et le catalogue du plaideur anonyme a paru douteux[58] ou exceptionnel[59] à certains historiens.

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