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CHOMOLANGMA

Réflexions sur le sens de la vie. Diversités culturelles et médiatiques.

Maurice Ravel (3).

Publié le 24 Janvier 2012 par CHOMOLANGMA in ARTS-Musique


Montfort-l’Amaury 

En 1921, désireux de se fixer et d'acquérir « une bicoque à trente kilomètres au moins de Paris » [28], Ravel acheta une maison à Montfort-l’Amaury dans les Yvelines, le “Belvédère”, où il devait concevoir la majeure partie de ses dernières œuvres. Cette époque vit la naissance des sensuelles Chansons madécasses, sur des poèmes d’Évariste de Parny1923), dans lesquelles le musicien exprimait au passage son anticolonialisme (Aoua), et de la rhapsodie virtuose Tzigane (1924) pour luthéal et violon. Le Belvédère s’imprégna vite de la personnalité de son occupant qui en fit, de son vivant même, un véritable musée (collection de porcelaines asiatiques, jouets mécaniques, horloges)

 

 

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Ravel se fixa à Montfort-l'AmauryBelvédère, devint rapidement le point de ralliement du cercle ravélien. en 1921.

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Solitaire et pudique, Ravel eut cependant une riche vie sociale. Le Belvédère de Montfort-l'Amaury devint rapidement le repaire incontournable du cénacle ravélien (entre autres l’écrivain Léon-Paul Fargue, les compositeurs Maurice Delage, Arthur Honegger, Jacques Ibert, Florent Schmitt, Germaine Tailleferre, les interprètes Marguerite Long, Robert Casadesus, Jacques Février, Madeleine Grey, Hélène Jourdan-Morhange, Vlado Perlemuter, le sculpteur Léon Leyritz, et les deux fidèles élèves de Ravel, Roland-Manuel et Manuel Rosenthal).

Ravel observa sa vie durant une extrême discrétion concernant sa vie privée et véhicula au travers de ses portraits et photographies une image de dandy masqué derrière un « cérémonial d'élégance fastidieuse » (André Tubeuf) qui contraste avec les témoignages de ceux qui le fréquentèrent. Mais les apparences ne pouvaient entièrement cacher la solitude et la tristesse de cet homme,[29] qui trouva une échappatoire dans l’orchestration des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, 1922, et dans une série de tournées à l’étranger (Pays-Bas, Italie, Angleterre, Espagne). La question de la sexualité du compositeur a souvent fait l'objet de gloses, sans qu'une réponse précise lui soit apportée. Ravel ne se maria jamais et aucune relation sentimentale, féminine ou masculine, ne lui est connue.[30] Une thèse récente s'attache cependant à démontrer que Ravel aurait transcrit en musique le prénom Misia et le nom GodebskaMisia Sert, amie du compositeur et dédicataire de La Valse), et caché ces transcriptions de manière étonnamment fréquente dans ses œuvres.[31]

Lyrisme et blues 

Ravel avait connu Colette dans les années 1900, quand ils fréquentaient les mêmes salons artistiques autour notamment de Cocteau et Debussy. C'est en 1925 qu'aboutit le projet commun des deux artistes d'une fantaisie lyrique baptisée L'Enfant et les Sortilèges. La genèse de cette œuvre avait débuté en 1919, quand Colette s'était vu proposer par Jacques Rouché, alors directeur de l’Opéra de Paris, la collaboration de Ravel pour mettre en musique un poème de sa main, intitulé au départ Divertissement pour ma fille. Accaparé par d'autres projets, Ravel n'y travailla vraiment qu'à partir de 1924 pour en tirer une œuvre dont les nombreuses scènes, de par leur brièveté et la variété de leurs genres, la rapprochent plus de la comédie musicale que de l'opéra. La création à Monte-Carlo en mars 1925 fut un succès, mais les représentations parisiennes de cette œuvre atypique donnèrent lieu à un accueil perplexe (le duo des chats notamment fit scandale). Colette a rapporté avec humour la relation purement professionnelle et distante dans laquelle Ravel la tint au cours de l’élaboration de ce projet.[32] En 1927, Ravel s'apprêtait à devenir, avec Stravinski, une des personnalités musicales les plus reconnues de son époque. Il acheva cette année-là sa Sonate pour violon et piano (dont le second mouvement est intitulé Blues) et inaugura la salle Pleyel en dirigeant La Valse.

1928–1932 : la consécration 
La tournée américaine 
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Maurice Ravel au piano, accompagné par la cantatrice canadienne Éva Gauthier le 7 mars 1928, lors de sa tournée américaine. George Gershwin se tient debout, le plus à droite.[33]



1928 fut pour Ravel une année particulièrement faste. De janvier à avril il effectua une gigantesque tournée de concerts aux États-Unis et au Canada [34] qui lui valut, dans chaque ville visitée, un immense succès.[35] Il se produisit comme pianiste dans sa Sonatine, accompagna sa Sonate pour violon et certaines de ses mélodies, dirigea l’orchestre, prononça des discours sur la musique dont aucun enregistrement direct ne nous est parvenu.[36] À New York il fréquenta les clubs de jazz de Harlem et se fascina pour les improvisations du jeune George Gershwin, auteur quatre ans plus tôt d'une retentissante Rhapsody in Blue et dont il appréciait particulièrement la musique. À celui-ci lui réclamant des leçons, Ravel répondit par la négative, argumentant : « Vous perdriez la grande spontanéité de votre mélodie pour écrire du mauvais Ravel. »[37] Dans cet esprit Ravel exhorta à plusieurs reprises les Américains à cultiver la spécificité de leur musique nationale.[38]

« Vous, les Américains, prenez le jazz trop à la légère. Vous semblez y voir une musique de peu de valeur, vulgaire, éphémère. Alors qu'à mes yeux, c'est lui qui donnera naissance à la musique nationale des États-Unis. » (Ravel, avril 1928).[39]

Boléro
Article détaillé : Boléro (Ravel)



De retour en France, Ravel s'attela à ce qui devait devenir son œuvre la plus célèbre et, malgré lui, l'instrument de sa consécration internationale. Après quelques tergiversations, le « ballet de caractère espagnol » que lui avait commandé son amie Ida Rubinstein en 1927 adopta le rythme d'un boléro andalou. Le Boléro fut créé à Paris le 22 novembre 1928 devant un parterre quelque peu stupéfié. Cette œuvre singulière, qui tient le pari de durer plus d’un quart d’heure avec seulement deux thèmes et une ritournelle inlassablement répétés, était considérée par son auteur comme une expérience d’orchestration « dans une direction très spéciale et limitée »,[40] et Ravel lui-même fut vite exaspéré par le succès de cette partition qu’il disait « vide de musique ». À propos d’une dame criant: « Au fou, au fou ! » après avoir entendu l’œuvre, le compositeur aurait confié à son frère : « Celle-là, elle a compris ! »[41]

 

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La danseuse et mécène russe Ida Rubinstein (1885–1960), proche amie de Ravel, fut l’inspiratrice et la dédicataire du Boléro. Portrait par A. de La Gandara.

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En octobre 1928, Ravel fut fait docteur en musique honoris causa à l’Université d’Oxford.[42] Dans sa ville natale, il inaugura, en août 1930, le quai qui porte son nom.[43]

Derniers chefs-d’œuvre 

De 1929 à 1931, Ravel conçut ses deux derniers grands chefs-d’œuvre. Composés simultanément et créés à quelques jours d’intervalle en janvier 1932, les deux concertos pour piano et orchestre apparaissent comme la synthèse de l’art ravélien, combinant forme classique et style moderne empruntant au jazz. Mais ces deux œuvres frappent par leur contraste. Au Concerto pour la main gauche, œuvre grandiose baignée d’une sombre lumière et empreinte de fatalisme qu’il dédia au pianiste manchot Paul Wittgenstein, répondit l’éclatant Concerto en sol dont le mouvement lent constitue l’une des plus intimes méditations musicales du compositeur. Avec les trois chansons de Don Quichotte à Dulcinée, composées en 1932 sur un poème de Paul Morand, les concertos mirent un point final à la production musicale de Maurice Ravel.

Le temps d’une tournée triomphale en 1932 en compagnie de la pianiste Marguerite Long, qui diffusa le Concerto en sol dans toute l’Europe, Ravel prit une dernière fois la mesure de sa renommée. De retour en France, après avoir supervisé un enregistrement de ce même concerto, il n’avait plus que des projets : notamment un ballet-oratorio, Morgiane, inspiré des Mille et Une Nuits, et un grand opéra, Jeanne d’Arc, d’après le roman éponyme de Joseph Delteil.

1933–1937 : une fin tragique

 

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Jeanne d’Arc ou le grand rêve irréalisé du musicien frappé par la maladie.[44]


 

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À partir de l’été 1933, Ravel commença à présenter les signes d’une maladie neurologique qui allait le condamner au silence pour les quatre dernières années de sa vie. Troubles de l’écriture, de la motricité et du langage en furent les principales manifestations,[45] tandis que son intelligence était parfaitement préservée et qu’il continuait de penser sa musique, sans plus pouvoir bientôt l'écrire ni la jouer. L’opéra Jeanne d’Arc, auquel le compositeur attachait tant d’importance, ne devait jamais voir le jour. On pense qu’un traumatisme crânien consécutif à un accident de taxi dont il fut victime en octobre 1932 [46] précipita les choses, mais Ravel, qui souffrait depuis longtemps d'insomnies récurrentes, semblait conscient du trouble depuis le milieu des années 1920 (la thèse d’une démence de Pick est discutée).[47] Le public resta longtemps dans l’ignorance de la maladie. Chacune des rares apparitions publiques de Ravel lui valait un triomphe, ce qui rendit d’autant plus douloureuse son inaction.[48]

En 1935, sur proposition d’Ida Rubinstein, Ravel entreprit un ultime voyage en Espagne et au Maroc qui lui apporta un réconfort salutaire, mais vain. Le musicien se retira définitivement à Montfort-l’Amaury où, jusqu’à sa mort, il put compter sur la fidélité et le soutien de ses amis et de sa fidèle gouvernante, Madame Révelot. Le mal continua de progresser. Le 19 décembre 1937, malgré les réticences du musicien, le professeur Clovis Vincent tenta à Paris une intervention chirurgicale sur son cerveau dans l'hypothèse d'une atteinte tumorale. Ravel se réveilla un court moment après l’intervention, puis plongea définitivement dans le coma.[49] Il s'éteignit le 28 décembre 1937, à l’âge de 62 ans. Sa mort provoqua dans le monde une grande émotion, que la presse relaya dans un hommage unanime.[50] Le discours officiel de la République française fut prononcé à son enterrement par Jean Zay, alors ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts.[51] Le compositeur repose au cimetière de Levallois-Perret près de ses parents et de son frère.

Avec Ravel disparaissait le dernier représentant d’une lignée de musiciens qui avaient su renouveler l’écriture musicale sans jamais renoncer aux principes hérités du classicisme. Par-là même, le dernier compositeur dont l’œuvre dans sa totalité, toujours novatrice et jamais rétrograde, soit « entièrement accessible à une oreille profane » (Marcel Marnat).

« Je n’ai jamais éprouvé le besoin de formuler, soit pour autrui soit pour moi-même, les principes de mon esthétique. Si j’étais tenu de le faire, je demanderais la permission de reprendre à mon compte les simples déclarations que Mozart a faites à ce sujet. Il se bornait à dire que la musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin et toujours la musique. » (Ravel, Esquisse autobiographique, 1928)

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