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CHOMOLANGMA

Réflexions sur le sens de la vie. Diversités culturelles et médiatiques.

Grande Idée (3 & fin).

Publié le 16 Décembre 2011 par CHOMOLANGMA in HIST--Ép. contemp-XXe et XXIe s-Hist. Militaire


Le « Schisme National » 

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Article détaillé : Schisme National.
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La Grande Idée avait d'abord été une volonté de rassembler les Grecs dans un seul et même État-nation, mais son exploitation politique eut bien d’autres conséquences.

Le choix de l'alliance 
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La Grande Idée ne fut en effet pas qu'une politique extérieure. Elle joua un rôle déterminant dans la politique intérieure du royaume grec. Elle fut ainsi présentée comme le principal, voire le seul, objectif des gouvernements successifs. Tous insistèrent sur la nécessité de l'unité nationale afin de réaliser la Grande Idée. Il ne fallait pas, sous peine d'être considéré comme antipatriote, évoquer les autres problèmes politiques (développement lent, corruption, sujétion aux Puissances Protectrices…). La Grande Idée devait passer avant tout[29], et servit donc à détourner l'attention des problèmes intérieurs. Ainsi, après que Charilaos Trikoupis ait déclaré le pays en faillite en 1893 et que le pays se fut enfoncé dans la crise économique, on utilisa la Grande Idée et les affaires crétoises pour détourner l'attention de la population, ce qui mena à la guerre de Trente Jours et à la défaite grecque.

Mais c’est pendant la Première Guerre mondiale que la Grande Idée aboutit à une des plus graves crises de politique intérieure qu'ait connue la Grèce. Lorsque la guerre éclata, la Grèce se déclara initialement neutre. Mais rester hors du conflit n'était pas la seule raison à cette neutralité. Le plus haut sommet de l'État était en effet divisé à propos du camp le plus à même de favoriser les objectifs de la Grande Idée.

Venizélos, le Premier ministre, entendait rester l'allié de la Serbie, comme durant les guerres balkaniques, en vue de démembrer définitivement la Bulgarie, alliée des Empires centraux. Il souhaitait donc se rapprocher de l'Entente.

Le roi Constantin, beau-frère du Kaiser Guillaume II, et Feld-Marshal honoraire de l'armée allemande, penchait plutôt vers l'alliance avec l'Allemagne et donc la Bulgarie, afin de se retourner contre l'ancien allié serbe et s'emparer de ses territoires.

En octobre 1915, le roi renvoya Venizélos et fit informer le gouvernement bulgare que son pays n'interviendrait pas en cas d'attaque de la Serbie. Il utilisait là une clause du traité d'alliance avec la Serbie de 1913, qui prévoyait que la Grèce aiderait la Serbie si elle était attaquée par la Bulgarie, sauf si celle-ci était alliée à deux autres puissances (ici l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie)[30].

Les Britanniques, pour attirer cependant la Grèce dans l'Entente, proposèrent au successeur de Venizelos de donner Chypre à la Grèce en échange de son aide. Le Premier ministre Alexandros Zaimis refusa[31], preuve que le gouvernement grec avait choisi de démembrer prioritairement l’ancien allié, la Serbie, et non l’Empire Ottoman.

Complication pour ce projet, Venizelos avait autorisé juste avant d'être démis de ses fonctions un corps expéditionnaire anglo-italo-français de 250 000 hommes commandés par le général Sarrail à s'installer à Salonique. Les 150 000 rescapés de l'armée serbe, évacués d'abord vers Corfou, occupée dans ce but par l'Entente, rejoignirent Salonique en avril 1916 (non sans que le roi Constantin et son nouveau Premier ministre Stephanos Skouloudis leur aient interdit d'emprunter le Canal de Corinthe). Le gouvernement grec autorisa même les troupes bulgares (ennemies de l’entente) à s'avancer vers Salonique en leur accordant les places fortes de Serrès et Kavala[32].

La rupture 

Après avoir tenté une dernière conciliation auprès du souverain qui refusa de le recevoir, Venizelos quitta Athènes pour retourner en Crète. Il publia alors (27 septembre 1916) une proclamation à « l'hellénisme entier » lui demandant de prendre en main ses propres destinées et de « sauver ce qui pouvait être sauvé » en coopérant avec l'Entente pour que « non seulement l'Europe soit délivrée de l'hégémonie allemande, mais aussi les Balkans des prétentions à la suprématie bulgares »[33]. En novembre, Venizelos organisa à Thessalonique un gouvernement provisoire de Défense nationale (Ethniki Amyna), rival du gouvernement fidèle au roi mené par Spyrídon Lámpros. Ce fut l'« Ethnikos Dikhasmos ». La Thessalie et l'Épire, ainsi qu'une partie de l'armée, suivirent Venizelos.

Une zone neutre entre la Grèce du nord et la « vieille Grèce » fut organisée par l'Entente, qui soutenait politiquement et financièrement le gouvernement Venizelos. Une flotte franco-britannique, commandée par l'amiral Dartige du Fournet, occupa la baie de Salamine pour faire pression (comme lors de la guerre de Crimée ou en 1885) sur Athènes, à qui divers ultimatums successifs, concernant principalement le désarmement de l'armée grecque, furent envoyés. Nicolas II refusa cependant que Constantin fût déposé.

Le 1er décembre 1916, le roi Constantin céda aux exigences de l'amiral français, et les troupes de Dartige du Fournet débarquèrent à Athènes pour s'emparer des pièces d'artillerie demandées. L'armée fidèle à Constantin s'était cependant secrètement mobilisée, et avait fortifié Athènes. Les Français furent accueillis par un feu nourri. L'amiral dut se réfugier au Zappéion, et ne put s'enfuir qu'à la faveur de la nuit. Le massacre des soldats français fut surnommé les « Vêpres grecques ». Le roi félicita son ministre de la guerre et le général Dousmanis[34].

L'Entente n'agit pas tout de suite. La Russie, mais aussi l'Italie, hésitaient. Ce ne fut que le 11 juin 1917 que l'abdication de Constantin fut exigée. Le 12 juin, sous la menace d'un débarquement de 100 000 hommes au Pirée, il partit en exil, sans officiellement abdiquer. Son second fils Alexandre monta sur le trône. Ses fidèles, dont le général Dousmanis et le colonel Ioánnis Metaxás, furent déportés en Corse. Le 21 juin, Venizelos forma un nouveau gouvernement à Athènes, et le 26, des troupes de l'Entente s'y installèrent. La Grèce, avec une armée purgée de ses éléments favorables à Constantin, entra en guerre, du côté de l'Entente, contre la Bulgarie et l'Empire Ottoman.

La « Grande Catastrophe » 

Conséquences de la première guerre mondiale

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La Grèce après le traité de Sèvres. La plus grande extension nationale, le plus proche possible de la réalisation de la Grande Idée


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À l'été 1918, 300 000 soldats grecs participaient aux combats sur le front oriental sous le commandement du général Franchet d'Esperey. La Bulgarie capitula le 29 octobre, la Turquie le 31. La participation grecque à la victoire lui permit d'obtenir pratiquement tout ce dont la Grande Idée rêvait.

La Grèce envoya aussi deux divisions auprès des armées blanches commandées par Vrangel dans le sud de la Russie pour protéger les 600 000 « Grecs » pontiques mais aussi dans le but de se placer comme la nouvelle grande puissance orthodoxe[35].

L'Italie n'attendit pas les décisions du traité de Versailles pour essayer de démembrer l'Empire ottoman. Elle fit débarquer ses troupes à Antalya et les fit marcher vers Smyrne. Pour éviter un effondrement précoce de l'Empire ottoman, le Royaume-Uni, le France et les États-Unis autorisèrent la Grèce à occuper militairement Smyrne. Le 15 mai1919, protégées par la flotte britannique, les troupes grecques effectuèrent leur débarquement. Des atrocités et des massacres furent commis. 350 Turcs périrent dans les affrontements. Les échauffourées et escarmouches continuèrent, jusqu'au déclenchement d'un véritable conflit armé. Cette occupation de Smyrne fut en effet la catalyse de la révolution nationaliste de Mustafa Kemal[36].

Traité de Sèvres
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Article détaillé : Traité de Sèvres.

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En août 1920, le traité de Sèvres accorda à la Grèce la Thrace, les îles d'Imbros et Ténédos et Smyrne (qui avait alors plus d'habitants grecs qu'Athènes) ainsi que tout son arrière pays. Cet hinterland était placé sous mandat de la Société des Nations avant un référendum prévu pour 1925.

Cependant, le Grand Schisme n'était pas fini. Aux élections législatives de 1920 s'affrontèrent les monarchistes (fidèles à Constantin, pas à Alexandre qui venait de décéder, mordu par son singe) et les libéraux de Venizelos. Les monarchistes firent campagne pour la démobilisation et la paix, proposant « une Grèce petite, mais honorable ». Les libéraux poussaient à la reprise du conflit pour créer une « Grande Grèce embrassant deux continents et cinq mers (mer Méditerranée, mer Égée, mer Ionienne, mer de Marmara et mer Noire)[37]. » Les royalistes remportèrent les élections et restaurèrent Constantin. L'armée fut purgée de ses éléments vénizélistes.

 

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L'incendie de Smyrne


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L'application du Traité de Sèvres décida des événements. Contrairement à la ville, l'arrière-pays de Smyrne était majoritairement turc et opposé à la domination grecque. Les monarchistes au gouvernement renièrent leur programme électoral et sous couvert de maintien de l'ordre entamèrent une politique expansionniste. Ce fut une nouvelle guerre gréco-turque. Cependant, depuis le retour au pouvoir de Constantin, les Occidentaux se méfiaient de la Grèce. Celle-ci ne pouvait plus compter sur la même aide qu'en 1918. Toutes les demandes de prêts, d'armes, de munitions, voire de vivres furent rejetées. La Turquie, menée par Mustafa Kemal opposa une forte résistance. Le nationalisme grec se heurtait au nationalisme turc. L'offensive grecque sur Ankara en mars 1921 fut un désastre. En mars 1922, la Grèce se déclara prête à accepter la médiation de la Société des Nations. L'attaque menée par Mustafa Kemal le 26 août 1922 obligea l'armée grecque à se replier devant l'armée turque, en pratiquant la politique de la terre brûlée et ravageant les villes et les campagnes. Les Turcs commirent à leur tour des atrocités contre les populations grecques. Smyrne, évacuée le 8 septembre, fut incendiée. On estime que 30.000 Chrétiens furent alors tués[38].

Traité de Lausanne 
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Article détaillé : Traité de Lausanne (1923).

 

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Le traité de Lausanne qui suivit fut défavorable à la Grèce, qui perdit la Thrace orientale, Imbros et Ténédos, Smyrne et toute possibilité de rester en Anatolie. Les Grecs étaient rejetés d'Asie Mineure après 3 000 années de présence. La Grande Idée ne serait jamais réalisée.

Pour éviter toutes nouvelles revendications territoriales, on procéda à un échange de populations, qu'on appelle la «Grande Catastrophe». Pendant le conflit, 151 892 Grecs avaient déjà fui l'Asie Mineure. Le Traité de Lausanne déplaça 1 104 216 Grecs de Turquie, 40 027 Grecs de Bulgarie, 58 522 de Russie (à cause de la défaite de Vrangel) et 10 080 d'autres provenances (Dodécanèse ou Albanie par exemple). Au total, la population grecque augmenta d'un seul coup de 20 %[39].

En échange, 380 000 Turcs quittèrent le territoire grec pour la Turquie et 60 000 Bulgares de Thrace et de MacédoineBulgarie. L'accueil immédiat des réfugiés coûta à la Grèce 45 millions de francs, puis la Société des Nations organisa un emprunt de 150 millions de Francs pour l'installation des réfugiés. En 1935, la Grèce avait dépensé 9 milliards de Francs en tout[40]. La Grande Idée avait coûté très cher, et son échec partiel l'effaça du premier plan de la vie politique pour un temps. En 1930, Venizelos se rendit même en visite officielle en Turquie et proposa Mustafa Kemal pour le prix Nobel de la paix. rejoignirent la

La Grande Idée au XXe siècle : Chypre

La Grande Idée n'avait pas tout à fait disparu. Elle continuait, sans dire vraiment son nom, à servir, soit la propagande d'un gouvernement, soit à détourner l'attention de la population.

Ainsi, après son coup d'État du 4 août 1936, Ioánnis Metaxás proclama l'avènement de la « Troisième Civilisation Hellénique », après la Civilisation de la Grèce antique et la Civilisation byzantine[41]. L'attaque italienne depuis l'Albanie et les victoires grecques permirent à la Grèce de conquérir pendant l'hiver 1940-1941, l'Épire du nord qui fut alors administrée comme une province grecque, avant l'offensive allemande d'avril 1941.

L'occupation, la résistance puis la guerre civile repoussèrent la Grande Idée à l'arrière-plan. L'annexion des îles du Dodécanèse en 1947 n'a d'ailleurs rien à voir avec celle-ci. Elle est juste le résultat de la défaite italienne et du fait que la Grèce faisait partie du camp des vainqueurs.

L'échange de population en 1922 n'avait pas été tout à fait total. En effet, des Grecs étaient restés à Constantinople, devenue Istanbul. On comptait encore aussi 120 000 Turcs en Grèce. Jusqu'au milieu des années 1950, surtout grâce à la pression de l'OTAN, la Grèce et la Turquie avaient entretenu des relations cordiales. Chypre, occupée par le Royaume-Uni, devint la « pomme de discorde ». En 1955, le colonel de l'armée grecque mais d'origine chypriote Georges Grivas lança une campagne de désobéissance civile, puis d'attentats, dont le but était d'abord de chasser les Britanniques, puis à terme l'enosis avec la Grèce. Le Premier Ministre grec, Alexandros Papagos n'y était pas défavorable. Les Britanniques jouèrent les Turcs chypriotes contre les Grecs chypriotes. À la demande d'enosis de la population grecque (80 % de la population chypriote), les 20 % turcs répondaient par une demande de « taksim » (partition). Les problèmes chypriotes eurent des répercussions sur le continent. En septembre 1955, réagissant à la demande d'enosis des Grecs chypriotes, des émeutes anti-grecs eurent lieu à Istanbul : 4 000 magasins, 100 hôtels et restaurants et 70 églises furent détruits ou endommagés[42]. Cela entraîna la dernière grande vague de migration de la Turquie vers la Grèce.

Les accords de Zurich de 1959 aboutirent à l'indépendance de l'île au sein du Commonwealth britannique. Les affrontements inter-ethniques à partir de 1960 entraînèrent une intervention célèbre du président des États-Unis, Lyndon Johnson et l'envoi d'une force d'interposition des Nations unies en 1964.

La situation chypriote fut récupérée par la dictature des colonels. Celle-ci présenta son coup d'État du 21 avril 1967Stylianos Pattakos déclara en 1968 : comme le seul moyen de défendre les valeurs traditionnelles de la civilisation helléno-chrétienne. Le brigadier-général

« Jeunes de Grèce... Vous recélez, dans vos poitrines et votre foi, ce profond sentiment du sacrifice. Il remonte au « Venez les prendre ! » de Leonidas, au « Je ne vous donnerai pas la Ville. » de Constantin XI et au « Non ! » de Metaxás. Il est dans le « Halte ou je tire ! » du 21 avril 1967[43]. »

 

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La partition de Chypre


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La grandeur de la Grèce de l'Antiquité à Byzance, puis celle des divers dictateurs refaisait surface. La Grande Idée n'était pas loin.

La crise pétrolière de 1973 envenima les relations gréco-turques. Du pétrole fut découvert près de Thasos. La Turquie demanda à pouvoir prospecter dans des zones qu'elle se disputait avec sa voisine grecque. La situation des colonels se détériorait. Les étudiants s'étaient révoltés en novembre 1973 et la junte avait envoyé les chars reprendre l'École polytechnique. La Grande Idée fut alors à nouveau utilisée pour détourner l'attention des problèmes internes.

Sur fond de crise pétrolière en Égée, le Brigadier-Général Ioannidis tenta, en juillet 1974, de déposer le Président chypriote Makarios et de procéder à l'enosis de Chypre. Cela entraîna une réaction immédiate de la Turquie. Elle envahit le nord de l'île, à majorité turque. Les deux pays procédèrent à une mobilisation générale. Cependant, la dictature grecque ne survécut pas à ce nouvel échec. La Grande Idée avait encore des répercussions en politique intérieure.

Dans une Europe stabilisée, la Grande Idée semble bel et bien avoir disparu, même si, des différends gréco-turcs à propos de zones frontières rappellent encore certaines revendications irrédentistes grecques. Mais, l'économie (pétrole ou pêche) est devenue la cause principale de ces disputes.

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